Uruguay

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ObservaTIC (Faculty of Social Sciences, Universidad de la República)

 

Introduction

Depuis le début du XXe siècle, l’Uruguay est considéré comme un pays industrialisé dans le contexte latino-américain. Or, cette situation s’est détériorée dans les dernières décennies sous l’effet de politiques qui accordent la priorité à la croissance économique plutôt qu’à une vision globale du développement. L’idée que le marché résoudrait de lui-même le problème de l’accès aux technologies de l’information et de la communication (TIC) a été dominante dans ce contexte.

Les TIC se portent relativement bien en Uruguay, tant sur le plan de l’infrastructure que de l’accès, et ce grâce à une géographie peu accidentée et au fait que la moitié de la population réside dans la capitale, Montevideo. L’Administration nationale des télécommunications (ANTEL) détient le monopole de la téléphonie fixe. Cette société d’État affiche un rendement satisfaisant sur le plan de l’efficacité et atteint une bonne couverture en matière de téléphonie numérique fixe. Le secteur de la téléphonie mobile a été libéralisé et de nombreuses entreprises coexistent, offrant l’accès mobile à 80 % de la population. Le pays est donc doté d’une bonne base pour la connectivité.

Abstraction faite de l’agglomération de Montevideo, la population du pays est éparpillée, ce qui augmente les coûts d’infrastructure par utilisateur et, partant, limite l’accès. Un programme de connexion des écoles appelé CEIBAL (Conectividad Educativa de Informática Básica para el Aprendizaje en Línea), dont il sera amplement question dans le présent rapport, a été conçu pour élargir l’accès à l’infrastructure au moyen d’un réseau sans fil parallèle à celui d’ANTEL. Le programme se concentre pour l’instant sur les écoles, mais il est très prometteur pour une éventuelle inclusion sociale généralisée à l’aide des TIC.

Politiques de TIC pour le développement en Uruguay

En Amérique latine, les politiques et initiatives sur la société de l’information et du savoir ont été mises à mal par une approche « technocentriste » qui vise surtout à améliorer l’accès à l’infrastructure et à la technologie. La démarche est indispensable mais insuffisante : comme nous le savons, pour pouvoir contribuer au développement, il faut garder à l’esprit ce à quoi serviront les TIC. Autrement, les fonds publics investis serviront exclusivement à créer de nouveaux consommateurs (Finquelievich, 2003; Mística, 2003; Mansell, 2002; Rivoir, 2005).

Bien que l’on soit sensible à ce problème en Uruguay, les politiques sur la société de l’information et du savoir ont été fragmentées. En 2000, on a eu l’intention de créer un comité chargé de la société de l’information et de mettre en œuvre une stratégie. Mais cette politique a manqué de continuité et les activités s’y rattachant n’ont duré que jusqu’en 2003, même si certains programmes se poursuivent encore. Il existe également des initiatives communautaires qui, tout en étant sans doute des réussites, n’atteindront probablement pas l’ampleur de politiques nationales. Cependant, depuis 2005 et avec l’avènement du premier gouvernement de gauche dans l’histoire du pays, les politiques sur la société de l’information et du savoir sont sur la bonne voie et de nouvelles stratégies et organisations ont été créées, notamment CEIBAL (AGESIC, 2007).

CEIBAL

CEIBAL est le premier programme au monde à accorder un ordinateur portable à chaque enfant et enseignant des écoles publiques à l’échelle du pays. C’est le résultat de l’initiative Un Ordinateur Portable par Enfant (OLPC - One Laptop per Child)[1], conçue par le Massachusetts Institute of Technology. Le XO, comme cet ordinateur a été baptisé, est spécialement conçu pour les enfants et a été adapté aux besoins de CEIBAL. En plus de contenir des logiciels pédagogiques, il permet aux écoliers de se connecter entre eux et à l’internet.

La mise en œuvre de CEIBAL a débuté vers la mi-2007 avec un projet pilote dans une école à Cardal, petit village de 1 500 habitants. En ce moment, le programme dessert 50 % du pays, ce qui exige un déploiement gigantesque de ressources financières, institutionnelles et humaines. Le programme devrait être mis en œuvre à Montevideo d’ici la fin 2009.

Il s’agit d’une initiative du président de l’Uruguay, Tabaré Vázquez, qui l’a annoncée lors de sa cérémonie d’investiture dans le but de promouvoir l’inclusion sociale. Mais les fonctionnaires responsables n’ont pas eu la tâche facile car ils ont dû élaborer la stratégie à la va-vite, tout en faisant face à des problèmes opérationnels et administratifs, en plus de créer des équipes et de coordonner les activités existantes.

Quelques conclusions préliminaires peuvent être tirées de cette expérience:

  1. Il était important que les autorités aient vu dans les TIC un mécanisme d’inclusion sociale, ce qui va plus loin que la vision linéaire et simpliste qui prévaut dans certains secteurs de la population et ses dirigeants, à savoir qu’il faut commencer par satisfaire les besoins fondamentaux avant de donner accès à la technologie. Mais les enfants, et les gens démunis en général, ont aussi le droit d’accéder aux TIC. Attendre que les problèmes de développement se règlent d’eux-mêmes risque d’empêcher ces populations de jouir un jour de leur « droit à la technologie ».
  1. Le gouvernement et, plus particulièrement, le président, prennent des risques en annonçant ce type de programme alors qu’il ne s’agit plus d’une promesse électorale, ni d’un élément du programme public ou d’une demande sociale. Il était important que le programme soit défini comme une initiative d’inclusion sociale car il est essentiel que ces mesures réduisent les inégalités. Le programme cherche non seulement à combler la fracture technologique proprement dite, mais d’autres fractures encore, notamment aux niveaux social, économique et culturel
  1. Les ordinateurs portables ont été offerts tant aux écoliers qu’à leurs professeurs, ce qui n’était pas prévu par le programme OLPC, mais ce qui montre un respect pour les enseignants, qui ont ainsi accès à un outil qu’ils ne connaissent pas nécessairement. Les enseignants ont un rôle essentiel à jouer car ils doivent susciter l’intérêt des enfants. L’importance de ce rôle est manifeste dans une étude récente sur l’expérience entreprise à Cardal (ANTEL, 2007).
  1. La formation des enseignants a été un critère important dès le début et a été mise en place en même temps que la distribution des portables. Il a été néanmoins difficile de former tous les enseignants avant la distribution, ce qui a créé un certain niveau d’anxiété, d’insécurité et de mécontentement parmi eux, d’où un degré d’acceptation et d’utilisation qui a varié selon l’enseignant.
  1. La gestion de CEIBAL est confiée à un comité interdisciplinaire constitué  d’enseignants, d’ingénieurs et de gestionnaires de divers organismes publiques, qui apportent leurs optiques et dynamiques. Cette diversité est un véritable atout qui favorise l’initiative et permet de surmonter les obstacles plus efficacement, même si cela ralentit légèrement le processus et si les opinions peuvent diverger.
  1. L’absence de consultations des participants avant la mise en œuvre du programme a eu des effets négatifs sur leur implication et leur engagement. D’autre part, les stratégies et les méthodes de travail ne sont pas clairement formulées. La formation des enseignants et le contenu ont notamment été développés au fur et à mesure. Mais il est fort douteux que l’on ait pu agir autrement. En effet, si on avait pris le temps de consulter les enseignants, les politiciens, les techniciens, les professionnels et les fonctionnaires, le programme n’aurait peut-être jamais vu le jour.

Comme plusieurs auteurs le font valoir, il faut insister sur l’importance de produire un contenu électronique, c’est-à-dire qu’il faut penser aux connaissances et aux aptitudes des gens à utiliser les TIC. Les gens doivent être considérés comme des producteurs d’information et de savoir, et pas simplement comme des consommateurs (Gómez et autres, 2003; Mística, 2003; Camacho, 2001; Martínez, 2001). D’aucuns estiment que la démocratisation du savoir passe par la participation sociale, non seulement au niveau de la conception de politiques, mais de la technologie (APC/ITeM, 2007; García Urea, 2007; Araya, 2003).

L’accueil très favorable de la population, et surtout des enfants, qui étaient visiblement enthousiastes à l’idée d’utiliser un ordinateur portable, a largement contribué à surmonter les difficultés qu’a pu rencontrer le programme CEIBAL.

Il est fondamental d’utiliser le programme au profit de la population en général. Du fait que les enfants apportent les ordinateurs chez eux, les communautés peuvent en bénéficier. Plusieurs propositions (du gouvernement, d’organisations sociales et de l’université) ont été présentées pour élargir l’application du programme. La proposition la plus intéressante et la plus prometteuse est celle du Réseau d’appui au plan CEIBAL (RapCEIBAL)[2], qui offre l’aide de bénévoles pour contribuer à l’efficacité et à la bonne marche du programme et encourager les enseignants et la population à s’approprier le plan.

Mesures à prendre

Il ne fait aucun doute que CEIBAL améliorera considérablement l’accès à la technologie en Uruguay et servira de base à toute initiative visant l’inclusion sociale en faisant appel aux TIC. Des mesures doivent être prises pour élargir la portée du programme aux particuliers, aux groupes ou aux communautés.

Il reste cependant des questions importantes à résoudre. Premièrement, il est essentiel de stimuler un usage utile de la technologie, sans se contenter d’y donner accès. Il est donc extrêmement important d’offrir un contenu et des services utiles aux enfants aussi bien qu’aux adultes afin d’améliorer leur qualité de vie – satisfaire leurs besoins, résoudre leurs problèmes et ouvrir leurs horizons. Mais pour ce faire, il faut un changement culturel, que nous nous considérions comme des producteurs et pas seulement comme des consommateurs de contenu.

Deuxièmement, bien que l’accès à l’information et au savoir sur internet soit très important, la diversité du monde d’aujourd’hui n’y est pas reflétée – ni sur le plan culturel ni sur le plan linguistique. Par le biais de CEIBAL, les enfants et les enseignants devraient être en mesure d’obtenir et de produire des informations sur la société, l’histoire, la culture et la langue qui sont les leurs. La production de cette information devrait être stimulée et financée de diverses manières (p. ex., par les industries locales, le milieu universitaire ou des professionnels indépendants). Certaines initiatives ont été entreprises – le développement de contenu numérique pour le programme a ainsi fait l’objet d’un appel d’offres – mais il devrait y en avoir beaucoup plus.

Troisièmement, davantage de gens devraient participer au programme, dont la portée est très vaste. L’État devrait poursuivre ses efforts de coopération avec des acteurs sociaux intéressés et diverses parties prenantes. Il existe encore de nombreuses possibilités de faire participer les citoyens, les organisations sociales et diverses institutions publiques.

Finalement, un aspect central des politiques est la nécessité de surveiller et d’évaluer la situation pour surmonter les problèmes et les obstacles et de renforcer les processus positifs. Il est encore possible d’améliorer la surveillance et l’évaluation de CEIBAL.

Pour résumer, CEIBAL constitue une étape importante vers l’inclusion sociale par les TIC. Son incidence est imprévisible car il n’existe aucun précédent d’une politique analogue. Une chose est certaine : il est absolument essentiel d’intégrer différentes perspectives et parties prenantes au programme. Les résultats dépendront des décisions futures.

Références

 

AGESIC (Agencia para el Desarrollo del Gobierno de Gestión Electrónica y la Sociedad de la Información y del Conocimiento), Libro Verde de la SIC en Uruguay, Montevideo, AGESIC, 2007. 
Voir à: www.agesic.gub.uy

ANTEL (Administración Nacional de Telecomunicaciones), Evaluación del Programa de Conectividad Educativa. Montevideo : ANTEL, 2007.

Araya, R., Comunidades y portales ciudadanos: ¿Para qué? Reflexiones desde una visión social sobre Internet, 2003. 
Voir à: redistic.org/brecha/es/17_-_Rub%E9n_Araya.html

APC/ITeM (Association pour le progrès des communications/Instituto del Tercer Mundo), Global Information Society Watch 2007, 2007.
Voir à: www.globaliswatch.org/download

Camacho, K., Internet: ¿una herramienta para el cambio social? Mexico, FLACSO, 2001.

CEIBAL: www.ceibal.edu.uy/portal/index.htm

Castells, M., La era de la información: Economía, sociedad y cultura, Vol. I, La sociedad red, Barcelone, Alianza Editorial, 2000.

Finquelievich, S., Indicadores de la Sociedad de la Información en Educación, Ciencia, Cultura, Comunicación e Información, en América Latina y el Caribe. RICYT/OCT, 2003. Voir à: www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/wsispc2/doc/S03-WSISPC2-DOC-0007!!MSW-S.doc

García Urea, S., La Democratización Tecnológica y la Inclusión Social: Un Análisis desde lo Sociocultural, 2007. Voir à:www.analitica.com/premium/ediciones2007/4876591.asp

Gascó-Hernández, M., Equiza-Lopez, F. et Acevedo-Ruiz, M., Information Communication Technologies and Human Development: Opportunities and Challenges, IGI Publishing, 2007. Voir à: www.igi-pub.com

Gómez, R., Delgadillo, K. et Stoll, K., Telecentros... ¿Para qué? Lecciones sobre telecentros comunitarios en América Latina y el Caribe. CRDI, 2003. Voir à:www.idrc.ca/es/ev-11917-201-1-DO_TOPIC.html

Martínez, J., Internet y políticas públicas socialmente relevantes: ¿Por qué, cómo y en qué incidir? In Bonilla, M. et Cliche, G. (éd.), Internet y Sociedad en América Latina y el Caribe, FLACSO/CRDI, 2001.

Mansell, R., From Digital Divides to Digital Entitlements in Knowledge Societies. Current Sociology, 50(3), pp. 407-426, 2002. 
Voir à: csi.sagepub.com/cgi/content/abstract/50/3/407

Mística, Comunidad virtual trabajando la Internet con visión social. In RedISTIC, Otro lado de la brecha: Perspectivas latinoamericanas y del Caribe ante la CMSI. Caracas: RedISTIC, 2003. 
Voir à: redistic.org/index.htm?body=proyectosj

One Laptop per Child: laptop.org/index.es.html

RapCEIBAL: rapCEIBAL.blogspot.com

Rivero, M., State Role on ICTs promotion in developing countries: General patterns and the Uruguayan experience. Working Papers, General Series No. 410, La Haye, Institute of Social Studies, 2004. 
Voir à: ideas.repec.org/p/iss/wpaper/410.html

Rivoir, A., The Information and Knowledge Society in Latin America and the Caribbean: Different Approaches and their Implications for Policies. In Third World Institute,Information Society for the South: Vision or Hallucination? Montevideo, ITeM, 2005. 
Voir à: www.choike.org/nuevo_eng/informes/3592.html


Footnotes