Argentine
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L’aperçu général des politique sur la société de l’information, du point de vue de l’accès, nous mène à envisager trois aspects fondamentaux de la situation de l’Argentine. Premièrement, nous devons analyser les indicateurs et les statistiques sur l’accès physique à la technologie ; deuxièmement nous devons évaluer les cadres réglementaires et juridiques (et ceux qui font débat), pour finalement observer les politiques sur l’éducation qui traitent des technologies de l’information et de la communication (TIC).
En Argentine, 16 millions de personnes accèdent à l’internet, soit environ 40 % de la population. Ce pourcentage place notre pays loin derrière les pays les plus développés, comme les États-Unis, à 72,5 %, le Royaume-Uni, à 68,6 % et la France à 58,1 %, mais dans une position favorable au niveau régional. Le seul pays dans la région à nous dépasser est le Chili avec 44,9 %[1].
Pour ce qui est du marché des technologies de l’information, nous voyons que depuis trois ans, la vente des ordinateurs a doublé (Clarin, 2007a), ce qui s’explique en partie par le fait que 30 % des ordinateurs personnels sont anciens et ne peuvent pas profiter des nouvelles connexions à large bande[2]. Il vaut la peine de noter également que de nombreuses personnes apprennent d’abord à utiliser l’internet chez elles où elles ont accès à un ordinateur (Clarín, 2007b). Il y a deux ans, la première expérience en ligne se faisait dans les cybercafés et les télécentres publics.
Ces statistiques rendent compte d’un marché actif impulsé par des stratégies commerciales et opérationnelles. Mais qu’arrive-t-il au 60 % de la population qui n’ont pas accès à l’internet?
Dans notre pays, l’internet se développe rapidement : le nombre d’utilisateurs est passé de 4,1 millions en 2002 (Telefónica, 2003) à 16 millions en 2007. Mais cette croissance n’a pas réduit la fracture numérique. En 2003, 73,5 % des internautes argentins vivaient dans la région urbaine de Buenos Aires (INDEC, 2006), 63,6 % avaient moins de 30 ans, 57 % d’entre eux étaient des étudiants universitaires ou diplômés, presque tous (94,3 %) étaient des professionnels et 54,4 % des hommes (Telefónica, 2003).
Une enquête officielle sur la consommation culturelle a montré que 47,2 % des Argentins n’avaient jamais navigué sur l’internet : ces personnes sont surtout des femmes de moins de 50 ans et venant des secteurs socioéconomiques les plus favorisés (Clarín, 2007c). Parmi les internautes, 86,6 % se connectent dans les cybercafés. Une autre étude montre que les groupes socioéconomiques inférieurs et moyens, surtout des adolescents et des enfants de la rue, utilisent les cybercafés et les télécentres (Contrera, 2007), une des raisons pour lesquelles ces centres sont jugés très importants pour réduire la fracture numérique (Finquielevich et Prince, 2007).
Le manque d’accès à une ligne téléphonique, en particulier dans les régions que les compagnies de téléphone jugent non rentables, contribue également à l’exclusion numérique. En 2000, le Fonds fiduciaire pour le service universel a été créé pour garantir la prestation de services de télécommunication à tous les habitants. En juin 2007, la résolution 80/207 a été adoptée pour obliger les compagnies de téléphone à y consacrer 1 % de leurs revenus, avec rétroaction au moment où le fonds a été légalement constitué. Le gouvernement a donc présenté aux compagnies de téléphone une facture de 750 millions de dollars, soit les contributions qui n’avaient pas été remises depuis 2001.
En avril 2008, le Règlement général sur le service universel a été publié dans le Bulletin officiel exigeant des principaux opérateurs téléphoniques – Telefónica et Telecom – d’élargir la téléphonie fixe à tout le pays dans les 60 mois. Mais des observateurs de différents secteurs estiment qu’il serait plus adéquat de renégocier les licences pour qu’elles rendent mieux compte du potentiel des offres de triple service (internet à large bande, télévision et téléphone) parmi d’autres politiques importantes.
En décembre 2007, le gouvernement ayant approuvé la fusion de Multicanal et de Cablevisión, les principaux opérateurs par câble du pays, un nouvel opérateur possédant 47 % du marché de la télévision par câble et 620 000 abonnés large bande est né (La Nación, 2007). Les actionnaires de la nouvelle entité sont le Groupe Clarin (60 %) et Fintech Advisory, un fonds d’investissement américain (40 %).
Une partie des conditions imposées par la Commission nationale pour la défense de la concurrence, l’organisme qui a autorisé la fusion, ont trait à l’accès universel:
- Des « tarifs sociaux » pour la télévision numérique payée, mais valide uniquement pour les zones très pauvres de la région métropolitaine de Buenos Aires
- La connexion de télévision par câble gratuite dans les écoles publiques, les hôpitaux, les centres de santé et les maisons de retraite, ainsi que les postes de police et les casernes de pompiers (Clarín, 2007d).
- La pose d’un câble de fibre optique de 3 000 kilomètres le long des routes nationales et provinciales.
Il y a lieu de noter que le Groupe Clarín est la plus influente compagnie de radiodiffusion multimédia en Argentine et que la fusion a été considérée comme une concession de l’ancien président Nestor Kirchner pour éviter la critique des médias. Certaines sources pensent que la fusion comportait des irrégularités, notamment une infraction à la Loi sur les industries culturelles (Lanata, 2008).
Le programme des centres de technologie communautaires (CTC), mis en œuvre en 1999, visait à améliorer l’accès public à l’internet[3]. Le programme est resté inchangé pendant des années et a stagné. Mais le gouvernement actuel tente de le faire revivre et a invité 50 coordonnateurs de CTC de différentes provinces à participer à un cours gratuit de civisme numérique organisé par le Secrétariat national pour les communications et les établissements d’enseignement. Des tentatives ont été faites pour faire revivre le site Web du programme[4], mais celui-ci n’offre aucune information sur les politiques à mettre en œuvre dans le cadre du projet ni de calendrier pour les futures activités.
La Loi sur la radiodiffusion no22285 fait partie de la législation sur la sécurité intérieure établie pendant la dernière dictature militaire en Argentine. En 2005, la démocratisation des communications a fait un bond en avant lorsque les autorités nationales ont modifié l’article 45 de la loi qui interdisait aux entités non commerciales de faire une demande de licence.
En avril 2008, la présidente Cristina Fernández de Kirchner a proposé une nouvelle loi sur la radiodiffusion, probablement motivée par la déception officielle face à la couverture du conflit économique dans les secteurs agricoles par les principaux médias (Katz, 2008). Un changement de pouvoir au comité de la radiodiffusion, qui réglemente les fréquences radio et télévision, a été suivi par une série de consultations avec différents intervenants, notamment la Coalition pour la radiodiffusion démocratique, qui avait rédigé une proposition appelée « 21 points fondamentaux pour les droits à la communication »[5]pendant le gouvernement de Néstor Kirchner, mais qui n’avait pas donné de résultats concrets. La présidente actuelle a manifesté son intérêt pour l’utiliser comme base d’une nouvelle loi.
D’après les discussions sur la nouvelle loi, la question de la numérisation offre clairement de nouvelles possibilités de formes originales de participation citoyenne aux médias, mais fait aussi courir le risque de voir se créer des monopoles médiatiques.
« Le spectre de la radio est un bien qui appartient à toute la société… Pour un pays aussi grand que l’Argentine, il est sans aucun doute d’une grande valeur stratégique » (Valle, 2008).
L’Argentine a commencé à débattre de la télévision numérique en 1997. Une commission chargée d’étudier cette question a conclu qu’il faudrait adopter la norme américaine. Les deux grandes chaînes de radiodiffusion ont testé ce nouveau format, mais aucun calendrier n’a été fixé pour la mise en œuvre du nouveau système. En 2006, une nouvelle commission a décidé que la norme européenne serait plus efficace pour le spectre radio. Beaucoup estiment que les discussions ont été influencées par différents lobbyistes plutôt que de porter sur le meilleur choix stratégique pour le pays. On s’attendait à un effet en cascade dans les pays du marché commun du sud (Mercosur) et qu’ils tenteraient tous d’adopter la même norme pour partager leurs produits culturels par la télévision. L’adoption de la norme européenne est considérée comme un moyen d’encourager l’entrée de nouvelles compagnies de télévision en Argentine.
À la fin de 2007, l’Association des musiciens indépendants a présenté une proposition visant la création d’un institut de musique qui « développerait et étendrait les activités musicales dans le pays ». Cet institut serait financé par une taxe numérique applicable aux nouveaux formats ou médias qui mémorisent ou reproduisent la musique et les images (CD, DVD, lecteurs MP3, magnétoscopes et téléphones mobiles).
La proposition a suscité une vive opposition de la part des blogueurs qui ont organisé une campagne de « Pas de taxe en Argentine » qui a conclu à l’impossibilité de cette taxe[6]. Certains ont fait valoir qu’elle élargirait le fossé numérique, relèverait le prix des biens technologiques ou légaliserait la piraterie, que la taxe serait sans limite et donc injuste et que les fonds recueillis n’iraient pas directement aux créateurs de contenu (Berghella, 2008, La Barbarie, 2008).
Les discussions sur les politiques gouvernementales ont porté au premier chef sur les TIC pour l’éducation.
La nouvelle Loi sur l’éducation no26206, qui réglemente le système d’éducation nationale, a été adoptée en décembre 2006. La loi soutient l’idée que l’accès aux TIC est important pour l’égalité et la qualité de l’éducation.
Les programmes du gouvernement prévoient d’équiper et de connecter les écoles, de former les enseignants et de créer des outils pédagogiques ainsi que de promouvoir les compétences numériques en classe (Landau et al., 2007). Les programmes publics les plus importants sont les suivants:
- Le Programme pour l’amélioration des écoles secondaires a pour but d’installer des ordinateurs dans les salles de classe. La formation des enseignants et la création de ressources pédagogiques sont également un élément très important.
- Le Programme global pour l’égalité en éducation (PIIE) élabore des stratégies pour fournir de l’équipement aux écoles des banlieues. Dans le cadre de ce programme, le Programme de renforcement pédagogique forme les enseignants dans les écoles où l’équipement a déjà été installé.
- Le portail www.educ.ar permet également d’installer de l’équipement et de connecter les écoles à l’internet, de former les enseignants et de créer un contenu pédagogique. Le portail est responsable de la campagne nationale des compétences numériques et coordonne la chaîne de télévision Encuentro, qui diffuse du contenu éducatif de grande qualité.
Outre ces programmes, le ministère de l’Éducation a signé un accord avec l’initiative Un ordinateur portable par enfant en 2006, bien que la mise en œuvre de ce projet ait connu quelques problèmes.
Malgré toutes ces initiatives, deux aspects de la culture numérique en classe doivent encore être améliorés : l’accès et l’appropriation. Pour ce qui est de l’accès, il existe des différences notables entre les élèves des écoles privées et publiques. La différence entre les élèves des milieux ruraux et urbains est encore plus nette. Il est vrai que les politiques visant à fournir de l’équipement ont été affermies, mais les ressources restent trop faibles. En ce qui concerne l’appropriation, il est difficile de tirer parti du potentiel qu’offrent les TIC pour améliorer l’éducation sans une formation suffisante des enseignants.
Il convient de mentionner que ces programmes gouvernementaux sont indépendants les uns des autres, d’où une perte de synergie.
Ce rapport montre qu’en Argentine, il n’existe pas de politique publique globale pour faire face à la fracture numérique. Les politiques qui favorisent l’accès aux technologies par les groupes exclus sont très isolées et ont peu d’effet. Nous croyons qu’il faudrait aborder le problème du point de vue de l’accès universel. Dans le cadre du gouvernement national, le Programme national pour la société de l’information[7], qui restait lettre morte depuis un certain temps, commence lentement à avancer. C’est ce programme qui doit s’occuper de cet aspect.
Pour ce qui est des politiques qui définissent le cadre réglementaire et juridique, un certain nombre d’organisations de la société civile commencent à y contribuer (voir GISWatch 2007). Dans certains cas, elles ont donné lieu à des processus intéressants qui ont influencé les politiques – en particulier quand des propositions spécifiques sont faites. La collaboration de la société civile à la formulation des politiques doit être encouragée.
Finalement, en matière de politiques éducatives, nous estimons que les initiatives en matière de TIC sont irrégulières, ce qui s’explique en partie par le fait que la gestion de l’éducation dans notre pays relève des provinces et non du gouvernement national (le niveau que nous avons évalué ici). Mais les plans nationaux devraient permettre une mise en œuvre pratique sur le terrain. Il est difficile de rejoindre les 60 % non desservis dans le pays car les exclus sont les plus pauvres et vivent dans les régions les moins peuplées. C’est pourquoi nous croyons que le système d’éducation publique serait le plus à même de les intégrer.
Berghella, V., ¿Canon digital en la Argentina? Clarín, 13 février 2008. Voir à: www.clarin.com/diario/2008/02/13/conexiones/t-01606184.htm
Clarín, Computadoras: se duplicaron las ventas en los últimos tres años, Clarín, 24 décembre 2007a.
Voir à: www.clarin.com/diario/2007/12/24/elpais/p-01801.htm
Clarín, Hay 2,8 millones más de usuarios de Internet. Clarín, 15 décembre 2007b.
Voir à: www.clarin.com/diario/2007/12/15/elpais/p-03602.htm
Clarín, Casi la mitad de los argentinos todavía no navegó por Internet. Clarín, 5 décembre 2007c.
Voir à: www.clarin.com/diario/2007/12/05/sociedad/s-03001.htm
Clarín, Confirman la adquisición de Multicanal por Cablevisión, Clarín, 8 décembre 2007d.
Voir à: www.clarin.com/diario/2007/12/08/elpais/p-03601.htm
Coalition pour la radiodiffusion démocratique: www.coalicion.org.ar/index.htm
Contrera, E., La brecha digital se achica porque crecen los locutorios y los cíber, Página 12, 17 mai 2007.
Voir à: www.pagina12.com.ar/diario/sociedad/3-85094-2007-05-17.html
Finquielevich, S. et Prince, A., El (involuntario) rol social de los cybercafés, 2007. Voir à: www.oei.es/tic/rolcibercafes.pdf
INDEC, 2006, Accesos a Internet : Décembre 2005. Voir à: www.cnc.gov.ar/indicadores/archivos/INDEC_internet_03_06.pdf
Internet World Stats: www.internetworldstats.com
Katz, C., Argentina: The clash over rent. Links – International Journal of Socialist Renewal, 2008. Voir à: links.org.au/node/453
La Barbarie:
labarbarie.com.ar/2008/canon-digital-algunas-conclusiones
La Nación, El Gobierno autorizó la fusión de Multicanal y CableVisión. La Nación, 8 décembre 2007.
Voir à: www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=969301
Lanata, J., Enemigos íntimos. Crítica de la Argentina, 6 avril 2008.
Voir à : Crítica de la Argentina, 6 April.
Landau, M., Serra, J. C. et Gruschetsky, M. Acceso universal a la alfabetización digital: Políticas, problemas y desafíos en el contexto argentino 2007.
Prince & Cooke: www.princecooke.com/mercado.asp
Telefónica (2003) La Sociedad de la Información en la Argentina
Valle, L. (2008) El estándar digital: un valor estratégico. El Cronista, 8 April.
[1] Internet World Stats: www.internetworldstats.com
[2] Prince & Cooke: www.princecooke.com/mercado.asp
[3] Pour plus d’informations, voir le rapport pays pour l’Argentine dans GISWatch 2007: www.globaliswatch.org/files/pdf/GISW_Argentina.pdf