Amérique du nord
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Organization
L’Amérique du Nord[1]représente une culture de grande diversité qui s’appuie sur les valeurs d’une économie libérale. Si l’internet a été initialement développé à des fins militaires et universitaires, son utilisation publique et commerciale a permis d’en faire une ressource de communication mondiale. On considère que les services de télécommunication dans cette région sont accessibles par tous[2].
Pourtant, l’Amérique numérique laisse apparaître contradictions et tensions. Si elle est un terrain fertile pour les monopoles (p.ex., Microsoft, Google), elle a aussi donné naissance à de vastes réseaux sociaux très actifs et bien qu’elle ait produit des lois sur le droit d’auteur inégales – comme le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) – qui s’applique au détriment des auteurs et des utilisateurs, elle a également ouvert la voie au mouvement des logiciels libres et de Creative Commons.
Ce rapport de Communautique, une organisation qui encourage la participation citoyenne au développement de la société de l’information, présente des perspectives intéressantes sur la situation actuelle en Amérique du Nord concernant l’infrastructure des communications. Il s’agit de placer cette région en contraste avec les autres rapports régionaux de GISWatch 2008. Le rapport s’appuie sur des données de sources gouvernementales et de différents observateurs de l’économie et de la société.
L’Amérique du Nord compte environ 5 % de la population mondiale et 19 % des internautes, avec un taux moyen de pénétration de l’internet de 70 % en 2007[3], à comparer à un taux moyen de 16,3 % dans le reste du monde.
Tout comme l’infrastructure, le contexte institutionnel et non gouvernemental des TIC en Amérique du Nord est solide. La réglementation, la surveillance et le déploiement des réseaux sont régis, en particulier, par des institutions et des autorités de normalisation comme l’Internet Engineering Task Force (IETF) et l’Union internationale des télécommunications (UIT) et par des comités gouvernementaux, des organismes indépendants et des ministères, comme, au Canada, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et l’Industrie Canada, et aux Etats-Unis, la Federal Communications Commission (FCC), la National Telecommunications and Information Administration (NTIA) et le Department of Commerce. Suivant les cadres réglementaires, ces entités visent plusieurs objectifs sociaux, comme le service et l’accès universels, la qualité du service, les appels d’urgence, le pluralisme des médias, la diversité culturelle et la protection des consommateurs. Les organisations de la société civile comme Télécommunautés Canada et le Dialogue transatlantique des consommateurs (DTAC) veillent à ce que les intérêts de la population soient pris en compte par les décideurs et les pouvoirs publics.
La position de chef de file de l’accès de la région est remise en question. En 2002, l’Amérique du Nord avait le plus fort taux de connectivité résidentielle dans le monde, avec un taux de pénétration de l’internet au Canada deux fois plus élevé qu’aux États-Unis. Le Canada occupait alors la troisième place dans le monde et les Etats-Unis la septième (Macklin, 2002). En 2008, plus d’un adulte sur deux avaient accès au haut débit à son domicile (Horrigan, 2008). Mais cette région a connu un ralentissement par rapport à d’autres. En 2008, le Canada n’occupait plus que la neuvième place dans le monde et les États-Unis la quinzième – des statistiques d’ailleurs contestées par le Département d’État des États-Unis, selon lequel le classement ne tient pas compte de tous les utilisateurs car il exclut, entre autre, l’accès par le sans fil. Selon l’enquête la plus récente, réalisée par la Oxford Saïd Business School de Londres et l’Université d’Oviedo en Espagne, la qualité des réseaux internet au Canada est nettement inférieure au seuil de qualité de la large bande dans le reste du monde et ne sera pas suffisante pour permettre une augmentation de l’usage de l’internet à l’avenir (Nowak, 2008). Pour sa part, le président de la FCC, Michael Copps, a déclaré que les États-Unis devaient de toute urgence formuler une stratégie sur la large bande pour remédier au déficit d’accès.
Représentant naguère le seuil mythique d’un accès presque gratuit, la région a vu ses coûts d’accès augmenter à des niveaux supérieurs à ceux de certains pays européens et asiatiques. Selon un rapport (Davies, 2008), aux États-Unis, les utilisateurs paient environ 53 dollars par mois pour un service rapide et de bonne qualité, alors que les Allemands et les Britanniques paient respectivement 32 et 33 dollars.
Contrairement à d’autres régions du monde, la connectivité en Amérique du Nord est essentiellement contrôlée par le secteur privé : des compagnies comme Cogent, Verizon, SAVVIS, AT&T, Qwest, Sprint, AOL et Level 3 Communications (L3). Ces géants possèdent des dorsales interconnectées qui redistribuent la capacité à de petits fournisseurs de services, qui sont souvent des filiales ou des sous-traitants d’un seul groupe[4]. Au Canada en particulier, les réseaux qui connectent les utilisateurs à l’internet sont entre les mains de cinq compagnies seulement : Bell, Telus, Videotron, Rogers et Shaw (Beaupré, 2007).
La stratégie commerciale des opérateurs consiste à avoir des milliers de serveurs extrêmement puissants interconnectés dans un nuage (ce que l’on appelle « l’informatique dans les nuages »), et à offrir un contenu en ligne et des services de logiciels où les données ou services de base, stockés de façon permanente sur les serveurs, ne sont accessibles pour le client que de façon temporaire. C’est le modèle de Google par exemple. C’est également un modèle dont beaucoup craignent qu’il ne finisse par marginaliser le consommateur qui ne pourrait plus posséder son contenu et ses logiciels ou y avoir librement accès lorsqu’il se trouve hors ligne. L’informatique dans les nuages permet aux opérateurs de rejoindre plus facilement les utilisateurs pour la publicité et éventuellement de resserrer l’étau autour des utilisateurs comme source constante de données commerciales.
Malgré le haut niveau de développement infrastructurel de l’Amérique du Nord, on constate l’apparition d’une fracture numérique, et pas seulement aux États-Unis. Presque 10 % de la population du Canada a besoin d’applications technologiques d’assistance pour utiliser un ordinateur et un adulte sur deux ne possède pas les compétences voulues pour faire des recherches en ligne (Barr-Telford et autres, 2005).
Pour les gouvernements du Canada et des États-Unis, le secteur des télécommunications a évidemment un rôle important à jouer dans la structure économique et sociale. Or, les propriétaires de l’infrastructure des télécommunications doivent engager des sommes considérables pour remettre à niveau des infrastructures du dernier kilomètre redondantes déjà en place mais qui sont désuètes ou mal adaptées au très haut débit. Incapables de rentabiliser le capital investi dans les régions rurales, ces compagnies sont réticentes à y fournir les connexions haut débit et tentent même parfois de faire obstacle à la concurrence de ceux qui voudraient essayer de nouveaux modèles opérationnels.
Dans un contexte social en évolution et modelé par la convergence, les entreprises médiatiques et de télécommunication créent de puissants conglomérats qui comprennent des entreprises de télécommunication, de marketing, médiatiques et financières. Ces grands groupes étendent leur réseau d’influence dans des secteurs comme les télécommunications, la finance, la géostratégie, l’écologie et le marketing. Par ces sphères d’influence, ils peuvent exercer un contrôle quasi-hégémonique et faire pression sur les gouvernements. Parallèlement, les gouvernements tentent de prévenir la création de monopoles. Mais ils sont eux-mêmes parfois liés par contrat avec des entreprises privées en raison de la privatisation de certaines fonctions de l’administration publique, d’où la question de la souveraineté des pays et des États face à l’évolution du libre jeu du marché (Wu, 2006)[5].
L’internet gratuit repose sur l’hypothèse que l’architecture et l’exploitation des réseaux ne peuvent pas faire de distinctions entre les applications (ou les personnes) qui utilisent les réseaux. Les attaques contre la neutralité du réseau menacent les fondements mêmes de l’internet. Les réseaux privés tentent actuellement de donner la priorité à certains volets de données au détriment d’autres jugés moins importants ou moins convertibles en argent. Mais la société civile s’organise[6], alors que les gouvernements tentent de régler ce nouveau problème, notamment par la législation.
La neutralité du réseau est remise en cause. On a, d’une part, des géants des télécommunications qui protègent leurs modèles opérationnels axés sur l’infrastructure physique et d’autre part, des vendeurs monopolistiques qui contrôlent le contenu, comme Microsoft. Compte tenu des changements d’habitudes des utilisateurs, comme la migration de la télévision par câble aux vidéos en ligne, les responsables des licences et du contenu perdent de leur pouvoir et doivent revoir leur stratégie.
Malgré le fossé numérique grandissant, la majorité de la population de la région a un accès à la bande passante qui dépasse ses besoins. La prolifération des publications en ligne, du partage point à point, des vidéoconférences et du partage des vidéos en ligne devrait s’intensifier avec le développement de l’accès haut débit, malgré l’obstruction de certains secteurs, en particulier celui de la musique. La société réseautée donne aux individus et aux groupes la possibilité de s’exprimer et de devenir des producteurs plutôt que des consommateurs de contenu. Le consommateur de web devient l’acteur du web et prend part au renforcement de la structure sociale en agissant en dehors de l’arène commerciale et en participant à la production de biens informationnels, souvent non mercantiles, comme l’échange et le partage de connaissances et de culture. Les élections présidentielles de 2008 aux États-Unis ont montré avec quelle rapidité les citoyens producteurs de contenu pouvaient réagir et faire des commentaires sur l’actualité. Tout espoir n’est pas perdu.
Le pouvoir du marché peut être écrasant. Selon Ignacio Ramonet, le directeur du mensuel français Le Monde diplomatique, nous devons créer un « cinquième pouvoir » qui nous permettra d’organiser une force citoyenne pour contrer l’hégémonie dominante du marché. Ce cinquième pouvoir aurait pour fonction de contester les superpouvoirs composés des médias et des fournisseurs de contenu numérique, qui font partie intégrante de la mondialisation néolibérale. C’est un média international qui, dans certaines circonstances, a non seulement cessé de défendre les citoyens, mais a parfois commencé à agir contre les populations en général (Ramonet, 2003).
La question fondamentale suivante doit être posée face aux contrastes, voire aux contradictions, nord-américaines : peut-on faire confiance à cette société pour produire le type de pluralisme que demande un monde globalisé pour assurer l’accès universel au sens le plus strict ? Pour le moment, traumatisée par le 11 septembre 2001, la région semble malheureusement favoriser les mesures et les institutions répressives plutôt que ses propres traditions républicaines et démocratiques.
Barr-Telford, L., Nault, F. et Pignal, J., Miser sur nos compétences : Résultats canadiens de l’enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes,Statistique Canada, 2005.
Voir à: www.statcan.ca/bsolc/english/bsolc?catno=89-617-X
Beaupré, A., La menace de l'internet à deux vitesses, L’Anarnet, 8 février 2007.
Voir à: anarcat.koumbit.org/2007-02-08-la-menace-de-linternet-deux-vitesses
CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), Mise à jour du rapport de surveillance des télécommunications du CRTC – 24 septembre 2007. Voir à: www.crtc.gc.ca/frn/publications/reports/PolicyMonitoring/2007/tmr2007.htm
Davies, F., Broad coalition backs universal broadband. MercuryNews.com, 25 juin 2008. Voir à: www.mercurynews.com/business/ci_9689148?nclick
Horrigan, J., Home Broadband 2008: Adoption stalls for low-income Americans even as many broadband users opt for premium services that give them more speed, Pew Internet & American Life Project, 2 juillet 2008.
Voir à: www.pewinternet.org/PPF/r/257/report_display.asp
Internet World Stats, Internet Usage and Population Statistics for North America, novembre 2007. Voir à: www.internetworldstats.com/stats14.htm#north
Macklin, B., Broadband et Dial-up Access. E-telligence for Business TM, pp. 30-31, août 2002.
Nowak, P., Canada’s broadband networks not ready for future: report. CBC News, 15 septembre 2008. Voir à: www.cbc.ca/technology/story/2008/09/15/tech-broadband.html?ref=rss
Ramonet, I., Le cinquième pouvoir. Le Monde diplomatique, octobre 2003. Voir à:
www.monde-diplomatique.fr/2003/10/RAMONET/10395
SavetheInternet.com Coalition: www.savetheinternet.com
Wu, T., Network Neutrality: Competition, Innovation, and Nondiscriminatory Access, Testimony before the House Judiciary Committee, 24 avril 2006.
Voir à: www.timwu.org/network_neutrality.html
(*) Antoine Beaupré de Réseau Koumbit, Jean-Claude Guedon, professeur de littérature comparée à l’Université de Montréal et Hugo Gervais et Aude Leroux-Lévesque de Communautique ont également contribué au rapport.
[1] Définie ici comme le Canada et les États-Unis, où les langues officielles sont l’anglais, le français (au Canada) et l’espagnol (dans certain États américains). Selon la Division des statistiques des Nations Unies, le Mexique fait partie de l’Amérique centrale et sera considéré comme tel dans ce rapport.
[2] Selon le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (2007), 98 % des foyers canadiens sont abonnés aux services téléphoniques fixes ou sans fil.
[3] Internet World Stats: www.internetworldstats.com/stats14.htm#north
[4] Liste des fournisseurs d’internet par câble, Wikipedia:
en.wikipedia.org/wiki/List_of_cable_internet_providers#North_America
[5] Voir également l’article de Wikipédia “Neutralité de réseaux”: fr.wikipedia.org/wiki/Neutralité_des_Réseaux
[6] Voir par exemple la coalition SavetheInternet.com: www.savetheinternet.com