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La surveillance des communications dans la société numérique sénégalaise
Le Sénégal, situé en Afrique de l'Ouest, est un pays anciennement  colonisé par la France qui a obtenu son indépendance en 1960. Elle  compte actuellement une population d'environ 13 millions de personnes.
 L'avènement de la société numérique sénégalaise à la fin des années  1990 et son développement exponentiel depuis les années 2000 a conduit  les décideurs à mettre en place un cadre institutionnel et juridique par  l'adoption en 2008 d'une série de lois régissant l'Internet dans le  pays.[1] Les décideurs ont trouvé nécessaire, pour des raisons de  sécurité nationale, de mettre en place un cadre juridique et  institutionnel pour protéger les citoyens contre les crimes liés  l’activité numérique.
 Les TIC ont apporté de réels changements dans  les formes de communication et d'échange, non seulement au niveau de  l'entreprise, mais aussi dans les relations entre les citoyens.  Cependant, même si il est prouvé que les TIC sont des outils au service  de la liberté d'expression, ils constituent également un danger réel en  ce qui concerne le secret de la correspondance.
 Les médias  sénégalais ne cessent de nous révéler les scandales sur la surveillance  des communications des citoyens qui sont soit le fait du gouvernement ou  par celui des entreprises privées.[2]
 Ce sera le sujet de notre  discussion, qui tente d'analyser l'architecture institutionnelle et  juridique de surveillance des communications au Sénégal.
Contexte Politique
Le Sénégal a signé et adhéré à plusieurs instruments internationaux  et régionaux relatifs aux droits humains, notamment la Déclaration  universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux  droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits  économiques, sociaux et culturels, et la Charte africaine des droits de  l’homme et des peuples.
 La Déclaration universelle des droits de  l'homme stipule en son article 12 que : «Nul ne peut être l'objet  d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou  sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation.  Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles  immixtions ou de telles atteintes ". Le même texte de l'ONU prévoit en  son article 19 que: "Tout individu a droit à la liberté d'opinion et  d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses  opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre,    sans  considérations de frontières, les informations et les idées par quelque  moyen d'expression que ce soit. " [3]
En outre, l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que: «Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. " [4]
En conformité avec les engagements internationaux du Sénégal, la constitution prévoit en son article 13 que: " Le secret de la correspondance, des communications postales, télégraphiques, téléphoniques et électroniques est inviolable. Il ne peut être ordonné de restriction à cette inviolabilité qu’en application de la loi."[5]
Description et analyse de la clé histoire / événement
Le Sénégal, à l’instar de nombreux pays dans le monde - comme en  témoignent les révélations d’Edward Snowden -sont menacées par la  pratique de la surveillance illégale des communications. Cette pratique,  qui ne répond pas aux normes internationales prescrites par les textes  pertinents des Nations Unies, notamment la Déclaration universelle des  droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et  politiques, est une véritable menace à la vie privée, la liberté  d'expression et le droit à la confidentialité de communications.
 Les  révélations faites par la presse sénégalaise sur la mise sur écoute des  conversations téléphoniques des citoyens, mais aussi la surveillance  des communications des employés dans une entreprise de  télécommunication, en témoignent.
 Selon un article paru dans le  journal Le Pays, publié le 5 Septembre 2011 et repris sur le site  d’OSIRIS: " C’est fréquent : l’on note assez souvent des échos en pleine  communications, des interférences inhabituelles, des conversations  entrecoupées sans raison apparente et même de bruits...d’outils  mécaniques. Ce qui suppose que des écoutes téléphoniques sont opérées.  En vue de percer cette énigme qui entoure les continuelles écoutes  téléphoniques dont les Sénégalais font l’objet, source ne peut pas être  plus indiquée qu’une firme de téléphone mobile."[6]
 En outre, le  même journal rapporte dans son édition du 30 Novembre 2011:". Des  écoutes téléphoniques ont été ainsi organisées en interne par le Top  management qui a pratiquement bouleversé la vie des travailleurs,  révèlent des agents de Tigo sous le couvert de l’anonymat.
 Des  cadres ont eu la désagréable surprise de recevoir des sanctions et  autres demandes d’explication, sur la base du contenu de messages  envoyés par courrier électronique. "[7]
 Si ces allégations sont  exactes, elles sont illustratives de la commission d’infractions sur les  communications des citoyens sénégalais à la fois par le gouvernement et  les entreprises privées. Ce qui constitue une menace réelle pour la  jouissance des droits fondamentaux de l'homme dont notre pays s’est  engagé à respecter. En effet, conformément à l'article 13 de la  sénégalaise constitution, comme indiqué ci-dessus, le secret de la  correspondance et des communications est inviolable, et « Il ne peut  être ordonné de restriction à cette inviolabilité qu’en application de  la loi.»
Même si il n'y a pas de législation spécifique sur les  écoutes téléphoniques, il existe plusieurs textes législatifs et  réglementaires protégeant le secret des correspondances et autres  communications. On peut citer notamment la loi n° 2008 – 12 sur la  Protection des données à caractère personnel, la loi 2011-01 du 24  février 2011 portant code des télécommunications, le décret relatif aux  communications électroniques pris pour l’application de la loi 2008-08  du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques.[8]
 Conformément à l'article 7 du Code des télécommunications: «Les  exploitants des réseaux de télécommunication ouverts au public et les  fournisseurs au public de services de télécommunication, ainsi que les  membres de leur personnel sont tenus au secret des correspondances et à  la continuité de la prestation sous peine de poursuites judiciaires  conformément à l’article 167 du code pénal. Ils doivent en outre assurer  aux consommateurs et utilisateurs de leurs réseaux des conditions  optimales de confidentialité et de neutralité du service au regard des  messages transmis et de protection de la vie privée et des données à  caractère personnel… Il ne peut être dérogé à cette règle que dans les  conditions prévue par la loi» [9]
 L'article 12 du Code des  télécommunications prévoit que «le juge ou l’officier de police  judiciaire, peut, pour les nécessités de l’instruction ou de l’enquête,  ou en exécution d'une délégation judiciaire, requérir des opérateurs de  télécommunications et des fournisseurs de services ou de réseaux de  télécommunications de mettre à sa disposition les informations utiles à  la manifestation de la vérité stockées dans le ou les systèmes  informatiques qu’ils administrent.. Les opérateurs de télécommunication  et les fournisseurs de service ou de réseau de télécommunications sont  tenus de mettre les informations à la disposition des autorités  susmentionnées."[10]
 En d'autres termes, seul un juge ou un officier  de police est autorisé par la loi à ordonner une restriction sur  l'inviolabilité des communications privées. Cela semble être, pour nous,  compatible avec le principe de légalité ainsi que celle de l'autorité  judiciaire compétente prévue par les 13 principes internationaux sur  l'application des droits de l'homme à la surveillance des  communications. [11]
 Selon le principe de la légalité, «Toute  restriction apportée au droit au respect de la vie privée doit être  prévue par la loi. L'État ne doit pas adopter ni mettre en oeuvre de  mesure qui porte atteinte au respect de la vie privée sans qu'elle ne  soit prévue par une disposition législative publique,"
 Toutefois, la  loi devrait être plus précise pour se conformer au principe  d’adéquation en précisant l’étendu et les limites de la réquisition du  juge ou de l’officier de police prévu par l’article 12 du code des  télécommunication précité.. Selon le principe de l'adéquation prévu par  les 13 principes internationaux mentionnés ci-dessus, «Toute  surveillance des communications prévue par la loi doit être en  adéquation avec l'objectif légitime poursuivi." Il nous parait  nécessaire que le juge ou l’officier de police précise le but légitime  poursuivi par la réquisition, ce qui a aussi pour intérêt d’éviter tout  abus de la part des autorités compétentes lors de la demande de lever du  secret des communications.
 À la lumière de ce qui précède, il est  incontestable que les faits ainsi rapportés ci-dessus violent  injustement et gravement l’intégrité des communications des citoyens,  car ne se fondant sur aucune base légale. Il s’agit au-delà de cas  d’atteinte à la vie privée et à la liberté d’expression des citoyens,  consacrés par le dispositif juridique interne sénégalais.
 Il est  incontestable que, pour les besoins de sécurité, l'Etat peut procéder à  la surveillance des communications. Mais la surveillance des  communications ou de la correspondance des citoyens sans base légale est  un acte intrusif à la vie privée et à la protection des données  personnelles, et porte atteinte à la dignité humaine.
 Il est  d’autant plus grave si le fait de surveillances illégales des  communications est l’oeuvre d’entreprises privées à l’égard de leurs  employés, comme décrit plus haut. La société de télécommunication citée  par les articles de presse, « espionnant » ses employés en surveillant  illégalement leurs correspondances électroniques et leurs communications  téléphoniques pose un sérieux problème de respect des droits et  libertés fondamentaux de l’homme au sein de l’entreprise. Alors même que  ces droits sont au coeur de la Responsabilité Sociale des Entreprises.
 En plus de la surveillance par l'État et les entreprises, les citoyens  se surveillent mutuellement. En effet, nous constatons souvent à des  scandales d’enregistrement illégal de communications dans des lieux  privés, au moyen de téléphones mobiles.
 Ces enregistrements ne  sont pas seulement utilisés dans le but de porter atteinte à la vie  privée, mais parfois à la dignité humaine tout court [12]
 Voilà  pourquoi le gouvernement - mais aussi les citoyens doivent- de manière  proactive, veiller à protéger le droit à la vie privée et le secret des  correspondances, non seulement pour être en conformité avec les normes  internationales de droits de l'homme, mais aussi pour assurer la  sécurité et la stabilité sociale et démocratique de notre pays.
Conclusion
La croissance rapide de l'utilisation des TIC soulève la question de  la sécurité des communications et des échanges électroniques. Il s’agit  non seulement d’un enjeu technique mais plus encore d’un enjeu sociétal.  Car ce qui est réellement menacé se sont les fondements même de l’Etat  de droit et ceux d’une société démocratique auxquels aspirent les pays  africains, dont notre pays le Sénégal.
 Toutefois, avec la situation  récente qui prévaut au Nigeria, avec des attaques et des enlèvements  effectués par Boko Haram, on peut légitimement se poser la question de  savoir si ce n'est pas utile pour lutter efficacement contre le  terrorisme, d’intensifier la surveillance des communications. Notre  réponse est non, parce que la lutte contre le terrorisme ne doit pas  justifier la restriction des libertés fondamentales et la violation  généralisée de la vie privée des citoyens.
 Le phénomène de la  surveillance de masse est un grave danger pour lequel les organisations  de la société civile et les militants des droits humains doivent faire  face. À cet égard, afin de contrer les menaces à la vie privée, la  sécurité et les libertés civiles, les Etats africains doivent relever le  défis de la mise en place de mécanismes institutionnels et juridiques  appropriés pour faire respecter le droit à la vie privée et le secret de  la correspondance. La surveillance illégale et frauduleuse des  communications au Sénégal est une réalité et le gouvernement, en tant  que garant des libertés civiles, doit trouver des solutions. Il est un  impératif absolu de la stabilité sociale et démocratique, ainsi que de  la sécurité institutionnelle et citoyenne.
 Bien que des efforts  soient faits au niveau législatif et institutionnel afin de respecter la  confidentialité de la correspondance, le gouvernement doit faire un  effort pour protéger les droits de l'internet des citoyens de la menace  de l'évolution des technologies de surveillance.
 Avec le  développement rapide de la technologie sophistiquée, il devient possible  pour les entités privées ou des particuliers de violer la  confidentialité des communications dans le simple but de nuire à autrui.
 Quand une entreprise de télécommunications est autorisée à espionner la  correspondance et les communications de ses propres employés, cela  mérite une attention particulière. Il en est de même quand un citoyen  est équipé de moyens technologiques sophistiqués permettant  d'intercepter ou enregistrer des appelants à leur insu, et pour une  utilisation non légale.
 Alors que le dynamisme du secteur des TIC  progresse à un rythme accéléré dans notre pays, les infrastructures  d'enregistrement et de surveillance des communications sont de plus en  plus sophistiquées et sont souvent hors de contrôle du gouvernement. Il  est donc nécessaire de mettre en oeuvre une législation appropriée. La  législation actuelle protégeant la confidentialité de la correspondance,  la liberté d'expression et la vie privée ne prend pas en compte, comme  nous l'avons vu, toutes les questions et les défis de la surveillance de  masse des communications.
Mesures à prendre
Pour mieux assurer l'intégrité de l'espace numérique, le droit à la vie privée et le secret de la correspondance, nous recommandons certaines actions qui sont absolument nécessaires:
- Les citoyens doivent être constamment au courant des pratiques de  surveillance pour assurer le respect du droit à la vie privée et à la  protection des données personnelles et de se défendre contre tous les  actes injustifiés et illégaux de surveillance des communications.
• Nous recommandons au gouvernement de renforcer le cadre juridique et institutionnel pour la surveillance des communications du point de vue du respect des droits de l'homme. En outre, le gouvernement devrait développer les ressources techniques et humaines afin d'avoir la capacité d'exercer des contrôles appropriés sur les technologies d'écoutes téléphoniques et de surveillance des communications non autorisées installés au Sénégal, pour assurer la sécurité et les libertés civiles de la population.
• Le gouvernement doit veiller à ce que la législation sur la surveillance des communications soit conforme aux 13 principes internationaux sur l'application des droits de l'homme à la surveillance des communications. 
1 www.jonctions.org/index.php?option=com_content&view=articl&id=16&Itemid=62
2 Enquête+. (2013, July 29). Les enregistrements téléphonique comme moyens de preuves : ‘’Illégaux’’ et ‘’irrecevables’’, selon des juristes. Enquête+. www.enqueteplus.com
3 www.un.org/en/documents/udhr/index.shtml#a12
4 www.ohchr.org/en/professionalinterest/pages/ccpr.aspx
5 www.wipo.int/wipolex/en/details.jsp?id=6223
6 Diagne, E. (2011, September 5). Surveillance des communications téléphoniques : Pourquoi et comment l’État écoute les citoyens. Osiris. osiris.sn/Surveillance-des-communications.html
7 Seck, A. A. (2011, November 30). Tigo et le scandale des écoutes téléphoniques. Senenews.com. www.senenews.com/2011/11/30/ tigo-et-le-scandale-des-ecoutes-telephoniques_17135.html
8 www.jonctions.org/index.php?option=com_content&view=article&id=16&Itemid=62
9 www.gouv.sn/IMG/pdf/code_des_Telecom_2011_senegal.pdf
10 Ibid.
11 https://en.necessaryandproportionate.org/text
12 Nettali.net. (2010, November 23). Affaire Diombasse Diaw : Khadija Mbaye et ses complices prennent 6 mois, Abdou Aziz Diop relaxé. Xalimasn. xalimasn.com/affaire-diombasse-diaw-khadija-mbaye-etses- complices-prennent-6-mois-abdou-aziz-diop-relaxe (In this case, the defendants were charged with, among others, acts of cyber crime. The victim was filmed without his knowledge by a supposed friend while he was naked and the footage was then found on the internet.)
Notes:
This report was originally published as part of a larger compilation: “Global Information Society wach 2014: Communications surveillance in the digital age” which can be downloaded from http://www.giswatch.org/2014-communications-surveillance-digital-age.
Creative Commons Attribution 3.0 Licence ‹creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0› Some rights reserved.
ISSN: 2225-4625
ISBN: 978-92-95102-16-3